Corte europea dei diritti dell’uomo, immunità parlamentare, interpretazione della normativa di attuazione, violazione dell’art. 6 CEDU.

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE PATRONO, CASCINI ET STEFANELLI c. ITALIE

(Requête no 10180/04)

ARRÊT

STRASBOURG

20 avril 2006

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Patrono, Cascini et Stefanelli c. Italie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM. C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
Mme F. Tulkens,
MM. P. Lorenzen,
D. Spielmann,
S.E. Jebens, juges,
R. Baratta, juge ad hoc
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 mars 2006

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10180/04) dirigée contre la République italienne et dont trois ressortissants de cet Etat, MM. Antonio Patrono et Giuseppe Cascini et Mme Vittoria Stefanelli (« les requérants »), ont saisi la Cour les 9 et 17 mars 2004 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés devant la Cour par Me C. Rossa, avocat à Turin. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. M. Braguglia, et par son coagent, M. F. Crisafulli.

3. Le 16 juin 2005, le président de la première section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant des dispositions de l’article 29 § 3, il a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien-fondé de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Les requérants sont nés respectivement en 1956, 1965 et 1959 et résident à Rome.

5. Les requérants sont trois magistrats qui à l’époque des faits avaient été détachés auprès du bureau législatif (« Ufficio Legislativo ») du ministère de la Justice.

6. Le 2 octobre 2001, pendant la discussion devant les Chambres législatives de la loi concernant les commissions rogatoires internationales, un sénateur, M. Calvi, révéla l’existence d’une note interne du bureau législatif qui critiquait la loi en question.

7. Dans une communication du 3 octobre 2001 au président du Conseil supérieur de la Magistrature, le ministre de la Justice, M. Castelli, déclara : « dans le cadre de la réorganisation du bureau législatif, je souhaite me servir d’autres professionnels et pour ce motif je demande de réintégrer à leurs postes les magistrats suivants: M. Patrono, (…), M. Cascini et Mme Stefanelli ». Cette déclaration fut publiée dans le journal La Stampa du 4 octobre 2001.

8. Par la suite, les requérants furent réintégrés dans leurs postes d’origine.

9. Le 5 octobre 2001, le journal Il Corriere della sera publia une interview avec M. Taormina, député au Parlement, sous le titre « Taormina : il est juste de licencier ces magistrats pas assez discrets ». Il était précisé que M. Taormina avait fait la déclaration suivante : «Les juges détachés auprès du ministère de la Justice, sont techniquement mis à disposition (tecnicamente fuori ruolo). En effet, ils ne sont plus des magistrats, mais des employés du ministère, c’est-à-dire des personnes subordonnées du Ministre. S’ils ne sont pas d’accord, ils sont obligés de partir. Je pense également qu’il y a des responsabilités pénales pour les juges qui ont violé le principe de réserve (« riservatezza »). Partant, M. Castelli a bien fait de les licencier ».

10. Le même jour, le journal Il secolo d’Italia publia une interview avec M. Castelli sous le titre « le vrai scandale est la diffusion d’un document confidentiel ». L’article contenait le passage suivant : « le document en question, utilisé pendant la session parlementaire par le sénateur, je ne l’ai jamais demandé ni vu. Le contenu de ce document n’est pas du tout lié à la réintégration des magistrats concernés et tous ceux qui soutiennent cette thèse font erreur ».

11. Le 6 octobre 2001, le journal Il Giorno publia, sous le titre « il semble qu’on est dans les années soixante-dix : les toges rouges (toghe rosse) sont revenues », une interview avec M. Pecorella, député au Parlement et président de la commission de la Justice. Invité à indiquer si M. Castelli avait bien fait de licencier les juges du bureau législatif, M. Pecorella répondit : « C’est le ministre qui doit choisir ses collaborateurs. Il y a des obligations de confidentialité et de loyauté ; celles-ci ayant été violées par [les magistrats concernés], il n’y a plus le rapport de confiance avec le ministre. S’il s’agissait de militaires, ils auraient été jugés pas la cour martiale. M. Castelli a fait ce qu’il devait et pouvait faire. Sa décision n’est pas due aux opinions exprimées pas ces magistrats mais à un acte de déloyauté ».

12. Estimant que les affirmations de M. Taormina et de M. Pecorella étaient fausses et avaient porté atteinte à leur honneur et à leur réputation, le 29 novembre 2001, les requérants portèrent plainte à leur encontre pour diffamation aggravée par voie de presse (diffamazione a mezzo stampa).

13. Deux procédures furent ouvertes à l’encontre des deux députés en question.

14. Le 21 juin 2002, le juge des investigations préliminaires (« le GIP ») de Milan émit un avis de clôture des investigations préliminaires quant à la procédure à l’encontre de M. Taormina.

15. Le 25 juin 2002, le GIP émit un avis de clôture des investigations préliminaires quant à la procédure à l’encontre de M. Pecorella.

16. Par la suite, le président de la Chambre des députés informa le GIP que le 18 décembre 2002, le Parlement, confirmant une proposition formulée par la commission pour les immunités parlementaires (Giunta delle elezioni e delle immunità parlamentari), avait estimé que les affirmations incriminées de M. Taormina constituaient des opinions exprimées par un parlementaire dans le cadre de ses fonctions. Par conséquent, M. Taormina bénéficiait à cet égard de l’immunité prévue à l’article 68 § 1 de la Constitution.

17. Le 27 mai 2003, la Chambre des députés, confirmant une proposition formulée par la commission pour les immunités parlementaires, estima que les affirmations de M. Pecorella constituaient des opinions exprimées par un parlementaire dans le cadre de ses fonctions, et que l’immunité prévue à l’article 68 § 1 de la Constitution trouvait à s’appliquer.

18. Le 15 janvier 2003, le parquet de Milan sollicita le classement de la plainte contre M. Taormina.

19. Les requérants s’opposèrent à cette demande et invitèrent le GIP à soulever devant la Cour constitutionnelle un conflit entre pouvoirs de l’État. Ils alléguèrent que les affirmations de M. Taormina n’étaient pas liées à ses fonctions de parlementaire mais s’inscrivaient dans une querelle entre particuliers.

20. Le 17 juin 2003, le parquet de Milan sollicita le classement de la plainte contre M. Pecorella. Par une ordonnance du 29 septembre 2003, le GIP fit droit à cette demande.

21. Par une ordonnance du 29 octobre 2003, le GIP prononça un non-lieu à l’égard de M. Taormina. Il observa que, suite à l’entrée en vigueur de la loi no 140 de 2003, l’immunité prévue à l’article 68 § 1 de la Constitution couvrait également les opinions exprimées par un député en dehors des travaux parlementaires. En l’espèce, M. Taormina s’était prononcé dans le cadre d’un débat entre les forces politiques suscité par l’intervention de M. Calvi. Le 2 octobre 2002, ce dernier avait dévoilé l’existence d’un document élaboré par le bureau législatif concernant la loi sur les commissions rogatoires internationales. Les déclarations incriminées s’inscrivaient dès lors dans une activité liée à la fonction parlementaire et exercée en dehors du Parlement. Partant, elles étaient couvertes par l’immunité prévue par l’article 68 § 1 de la Constitution.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. L’immunité parlementaire

22. L’article 68 § 1 de la Constitution et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière d’immunité parlementaire sont décrits dans les arrêts Cordova (Cordova c. Italie (no 1), no 40877/98, §§ 22-27, CEDH 2003-I, et Cordova c. Italie (no 2), no 45649/99, §§ 26-31, CEDH 2003-I).

23. La loi no 140 du 20 juin 2003, intitulée « dispositions pour l’exécution de l’article 68 de la Constitution et en matière de procès pénaux à l’encontre des hautes fonctions de l’Etat » a précisé le champ d’application de cette disposition. L’article 3 de cette loi se lit ainsi :

« L’article 68 § de la Constitution s’applique en tout état de cause pour la présentation de projets et propositions de loi, amendements, ordres du jour, résolutions, (…), pour tout acte parlementaire, activité d’inspection, de divulgation, de critique et de dénonciation politique, liée à la fonction parlementaire, menée même en dehors du Parlement. »

B. Les droits de la partie lésée dans une procédure pénale

24. Les articles pertinents du code de procédure pénale (« le CPP ») sont ainsi libellés :

Article 79

« La constitution de partie civile a lieu à partir de l’audience préliminaire (…). »

Article 90

« La partie lésée exerce les droits et les facultés qui lui sont expressément reconnus par la loi et, en outre, peut présenter à tout stade de la procédure des mémoires ainsi qu’indiquer des éléments de preuve, exception faite pour la procédure en cassation. »

Article 101

« La partie lésée peut nommer un représentant légal pour l’exercice des droits et des facultés dont elle jouit (…). »

Article 392

« 1. Au cours des investigations préliminaires, le ministère public et le suspect (persona sottoposta alle indagini) peuvent demander au juge la production immédiate d’un moyen de preuve (incidente probatorio) (…). »

Article 394

« 1. Au cours des investigations, la partie lésée peut demander au ministère public de solliciter devant le GIP la production immédiate d’un moyen de preuve (incidente probatorio).

2. Si le ministère public décide de ne pas accueillir cette demande, il doit motiver sa décision et la notifier à la partie lésée. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

25. Les requérants se plaignent d’un manque d’équité de la procédure devant le GIP de Milan et de ses décisions prononçant un non-lieu à l’égard de MM. Taormina et Pecorella. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) ».

26. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

1. L’exception d’incompatibilité ratione materiae du Gouvernement

27. Le Gouvernement estime que l’article 6 § 1 de la Convention ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce. Il observe que les plaintes des requérants ne faisaient pas état d’un préjudice financier causé par l’infraction alléguée et ne visaient que la condamnation pénale des défendeurs. De plus, les requérants ne se sont pas constitués parties civiles dans les procédures ouvertes à la suite de leurs plaintes. Ceci distinguerait la présente requête des affaires Cordova (nos 1 et 2) précitées et De Jorio c. Italie (voir no 73936/01, arrêt du 3 juin 2004), et la rapprocherait de celle Asociación de víctimas des terrorismo c. Espagne (voir no 54102/00, décision du 29 mars 2001). Dès lors, ce grief devrait être déclaré irrecevable comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

28. Les requérants s’opposent à la thèse du Gouvernement. Ils observent que leurs plaintes visaient à mettre en marche l’action publique, ce qui aurait dû amener à l’ouverture d’un procès au cours duquel ils auraient pu se constituer parties civiles afin d’obtenir la réparation des dommages subis. Ils rappellent qu’en droit italien les victimes d’une infraction ne peuvent se constituer parties civiles que si le parquet demande le renvoi en jugement des accusés, ce qui n’a pas été le cas dans la présente espèce. Les requérants avaient par ailleurs indiqué dans leurs plaintes que leurs allégations étaient formulées sous réserve de se constituer parties civiles.

29. La Cour rappelle que l’applicabilité de l’article 6 § 1 se conçoit même sans demande de réparation pécuniaire ; il suffit que l’issue de la procédure soit déterminante pour le « droit de caractère civil en cause » (Moreira de Azevedo c. Portugal, arrêt du 23 octobre 1990, série A no 189, p. 17, § 66, et Perez c. France [GC], no 7287/99, § 65, CEDH 2004-I). En outre, « c’est en effet au regard non seulement de la qualification juridique, mais aussi du contenu matériel et des effets que lui confère le droit interne de l’Etat en cause, qu’un droit doit être considéré ou non comme étant de caractère civil au sens de cette expression dans la Convention. De plus, il appartient à la Cour, dans l’exercice de son contrôle, de tenir compte aussi de l’objet et du but de la Convention » (Perez précité, § 57).

30. En l’espèce, les requérants ont porté plainte à l’encontre de MM. Pecorella et Taormina pour diffamation aggravée par voie de presse (paragraphe 12 ci-dessus). Par cette démarche, ils visaient à faire valoir un droit de caractère civil – à savoir le droit à la protection de leur réputation – dont ils pouvaient, d’une manière défendable, se prétendre titulaires (Cordova (no 1) précité, § 49).

31. Il est vrai que les requérants ne se sont pas constitués parties civiles dans les procédures ouvertes à la suite de leurs plaintes. Cependant, la Cour a eu l’occasion de souligner qu’en droit italien la partie lésée ne peut se constituer partie civile qu’à partir de l’audience préliminaire (article 79 du CPP ; voir Sottani c. Italie (déc.), no 26775/02, 24 février 2005). En l’espèce, celle-ci n’a pas eu lieu car les poursuites ont été classées au stade des investigations préliminaires.

32. Or, pendant cette phase, la partie lésée peut exercer les droits et les facultés qui lui sont expressément reconnus par la loi (article 90 du CPP). Parmi ces droits figurent, à titre d’exemple, le pouvoir de demander au ministère public de solliciter devant le GIP la production immédiate d’un moyen de preuve (article 394 du CPP) et le droit de nommer un représentant légal pour l’exercice des droits et des facultés dont elle jouit (article 101 du CPP). Par ailleurs, l’exercice de ces droits peut s’avérer essentiel pour une efficace constitution de partie civile. En outre, la partie lésée peut présenter des mémoires à tout stade de la procédure et, à l’exception de la procédure en cassation, elle peut indiquer des éléments de preuve (article 90 du CPP ; voir Sottani, décision précitée).

33. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’article 6 § 1 de la Convention trouve à s’appliquer en l’espèce.

34. Il y a partant lieu de rejeter l’exception d’incompatibilité ratione materiae du Gouvernement.

2. L’exception de non-épuisement des voies de recours internes du Gouvernement

35. Le Gouvernement excipe également du non-épuisement des voies de recours internes. Il observe que dans la procédure contre M. Pecorella, les requérants ne se sont pas opposés à la demande de classement du parquet. Dans le cadre de ladite opposition, les requérants auraient pu faire valoir leur grief tiré de l’article 6 de la Convention sous l’angle du droit d’accès à un tribunal.

36. Pour ce qui est de la procédure contre M. Taormina, le Gouvernement note que les requérants ont fait opposition à la demande de classement, mais n’ont pas invoqué leur droit d’accès à un tribunal ou l’applicabilité alléguée de l’article 6 de la Convention.

37. Les requérants estiment que compte tenu de la délibération du Parlement faisant application de l’article 68 § 1 de la Constitution et de l’entrée en vigueur de la loi no 140 de 2003, toute opposition à la demande de classement aurait été vouée à l’échec. Par ailleurs, l’opposition concernant les poursuites contre M. Taormina avait été rejetée.

38. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes vise à ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d’autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999-V, et Remli c. France, arrêt du 23 avril 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 571, § 33). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI). De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (Akdivar et autres c. Turquie, arrêt du 16 septembre 1996, Recueil 1996-IV, p. 1210, § 65).

39. Cependant, l’obligation découlant de l’article 35 se limite à celle de faire un usage normal des recours vraisemblablement efficaces, suffisants et accessibles (Sofri et autres c. Italie (déc.), no 37235/97, CEDH 2003-VIII). En particulier, la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Dalia c. France, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, pp. 87-88, § 38). De plus, selon les « principes de droit international généralement reconnus », certaines circonstances particulières peuvent dispenser un requérant de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes qui s’offrent à lui (Aksoy c. Turquie, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2276, § 52). Toutefois, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Sardinas Albo c. Italie (déc.), no 56271/00, CEDH 2004-I, et Brusco c. Italie (déc.), no 69789/01, CEDH 2001-IX).

40. Enfin, l’article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres précité, p. 1211, § 68).

41. En l’espèce, la Cour observe que les requérants se sont opposés à la demande de classement des poursuites entamées contre M. Taormina, et ont demandé au GIP de soulever devant la Cour constitutionnelle un conflit entre pouvoirs de l’Etat. Les requérants ont notamment soutenu que les affirmations incriminées n’étaient pas liées à des fonctions parlementaires, s’inscrivant plutôt dans le cadre d’une querelle entre particuliers. Ce faisant, les requérants ont soulevé, en substance, le grief qu’ils ont formulé par la suite devant la Cour. Peu importe qu’ils n’aient pas expressément invoqué l’article 6 de la Convention ou son applicabilité au cas d’espèce.

42. Pour ce qui est l’omission de s’opposer à la demande de classement concernant M. Pecorella, la Cour a eu l’occasion de noter qu’en droit italien la délibération d’une chambre législative affirmant que le comportement de l’un de ses membres tombe dans le champ d’application de l’article 68 § 1 de la Constitution empêche d’entamer ou de continuer toute procédure pénale ou civile visant à établir la responsabilité du parlementaire en question et à obtenir la réparation des dommages subis (Cordova c. Italie (no 1) (déc.), no 40877/98, 13 juin 2002). Il s’ensuit que toute opposition tentée par les requérants se serait heurtée à la délibération du Parlement du 27 mai 2003, qui avait déclaré que l’immunité parlementaire trouvait à s’appliquer en l’espèce. Cette démarche était partant dépourvue de chances raisonnables de succès. Cela est par ailleurs confirmé par la circonstance qu’une opposition analogue, formulée à l’égard de la demande de classement des poursuites contre M. Taormina, a été rejetée par le GIP (paragraphe 21 ci-dessus).

43. Dans ces circonstances, l’exception de non-épuisement des voies de recours internes du Gouvernement ne saurait être retenue.

3. Autres motifs d’irrecevabilité

44. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

(a) Le Gouvernement

45. Le Gouvernement rappelle qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que, même si son application dans chaque cas d’espèce est assujettie à des limitations, l’immunité des membres du Parlement pour les opinions exprimées dans l’exercice de leurs fonctions n’est pas en soi contraire à la Convention. Ceci correspond par ailleurs à la jurisprudence dégagée par la Cour constitutionnelle italienne à partir de l’arrêt no 10 de 2000. Cette dernière s’est, en particulier, penchée sur les circonstances particulières des affaires qui lui ont été soumises afin d’établir s’il y avait un lien entre les déclarations litigieuses et l’exercice de fonctions parlementaires.

46. Le Gouvernement doute de la compétence de la Cour pour trancher une telle question, qui porte sur des questions de fait et relève de l’interprétation et de l’application de la loi nationale. Il devrait appartenir au juge national de décider si l’article 68 de la Constitution trouve ou non à s’appliquer. Si le juge du fond est en désaccord avec une délibération du Parlement, il peut soulever un conflit d’attributions devant la Cour constitutionnelle.

47. A supposer même que la Cour ait une telle compétence, celle-ci ne saurait s’exercer que dans des situations où le lien – ou l’absence de lien – entre la fonction parlementaire et les déclarations est évident. De l’avis du Gouvernement, tel ne serait pas le cas en l’espèce. En effet, les déclarations de MM. Taormina et Pecorella s’inscrivaient dans le cadre d’un débat politique qui se déroulait dans les chambres législatives. A l’époque des faits, le Parlement était en train d’examiner un projet de loi concernant les commissions rogatoires, qui était au centre d’une polémique en raison des conséquences qu’il aurait pu avoir sur certaines procédures pénales en cours. De plus, la décision du ministre de la Justice de « licencier » certains magistrats détachés auprès de son ministère avait suscité des vives réactions. Les ministres étant politiquement responsables de leur actes devant le Parlement, le lieu naturel de cette discussion étaient les chambres législatives, qui auraient pu, le cas échéant, aller jusqu’à présenter une motion de défiance à l’encontre du ministre concerné. A cet égard, le Gouvernement rappelle que deux questions parlementaires furent adressées au ministre.

48. Les polémiques décrites ci-dessus se sont poursuivies dans la presse, donnant lieu aux déclarations litigieuses de MM. Taormina et Pecorella. De l’avis du Gouvernement, ces dernières seraient donc liées à l’exercice d’une compétence propre du Parlement, ce qui rapprocherait la présente requête de l’affaire A. c. Royaume-Uni (no 35373/97, CEDH 2002-X) et la différencierait des affaires Cordova et De Jorio précitées.

49. Le Gouvernement souligne également que les juridictions nationales ont apprécié en leur âme et conscience les faits de la cause et la possibilité de soulever un conflit entre pouvoirs de l’Etat devant la Cour constitutionnelle. Rien n’imposait aux juges du fond de s’abstenir de soulever un tel conflit ou de classer les poursuites. Ceci ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, telle qu’établie, en particulier, dans les arrêts nos 120, 246, 347 et 348 de 2004.

(b) Le requérants

50. Les requérants considèrent que les déclarations de MM. Pecorella et Taormina n’étaient nullement liées à une fonction typique des assemblées législatives, et ne pouvaient dès lors être couvertes par une immunité. Ils rappellent qu’aux termes de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation, la « fonction parlementaire » ne peut pas couvrir toute l’activité politique d’un député ou d’un sénateur. De plus, les affirmations de MM Taormina et Pecorella n’ont pas été faites au cours d’une réunion électorale, mais lors d’une interview à un journal à large diffusion.

51. En l’espèce, les députés mis en cause ont en substance affirmé que le ministre de la Justice avait licencié les magistrats du bureau législatif en raison d’actes de déloyauté. En attribuant des comportements répréhensibles aux requérants, MM. Pecorella et Taormina n’ont pas exprimé des opinions, mais ont relaté de faits portant atteinte à l’honneur et à la dignité des intéressés. Ces affirmations diffamatoires ont par ailleurs été démenties par le ministre de la Justice lui-même, qui a indiqué les vraies raisons de sa décision.

52. Les requérants soulignent également qu’avant leurs interviews avec la presse, MM. Pecorella et Taormina n’étaient pas intervenus au sein des chambres législatives pour soulever la question d’un manque de loyauté des magistrats. Les actes parlementaires cités par le Gouvernement sont postérieurs aux interviews litigieuses et MM. Pecorella et Taormina ne semblent pas avoir participé à la discussion y relative.

53. De l’avis des requérants, l’immunité octroyée à MM. Pecorella et Taormina s’est traduite en un privilège injustifié, qui a porté atteinte à leur droit d’accès à un tribunal. Il ressortirait par ailleurs de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle citée par le Gouvernement qu’en l’espèce l’immunité n’aurait pas dû être octroyée. De plus, selon la jurisprudence dégagée par la Cour dans les affaires Cordova c. Italie précitées, l’absence d’un lien clair entre les opinions exprimées et les fonctions parlementaires peut affecter le juste équilibre devant régner en la matière entre le but de l’immunité et les moyens employés pour la faire valoir, et cela particulièrement lorsque les autorités internes ont fondé leur évaluation sur la nature prétendument politique des déclarations litigieuses. Afin d’établir si les opinions exprimées en dehors du Parlement étaient liées aux fonctions parlementaires, il faudrait vérifier si le député ou le sénateur mis en cause a relaté à l’extérieur des déclarations préalablement faites au sein des chambres législatives, ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce.

2. Appréciation de la Cour

54. La Cour estime que la requête pose avant tout la question de savoir si les requérants ont pu exercer leur droit, garanti par l’article 6 de la Convention, d’accès à un tribunal (Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18, pp. 17-18, §§ 35-36, Cordova (no 2) précité, § 48, et De Jorio précité, § 40).

(a) Sur l’existence d’une ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit d’accès à un tribunal

55. La Cour note que, par ses délibérations des 18 décembre 2002 et 27 mai 2003, le Parlement a déclaré que les affirmations de MM. Taormina et Pecorella étaient couvertes par l’immunité consacrée par l’article 68 § 1 de la Constitution, ce qui empêchait de continuer toute procédure pénale ou civile visant à établir la responsabilité des députés en question et à obtenir la réparation des dommages subis.

56. S’il est vrai que la légitimité des délibérations a fait l’objet d’un examen du GIP, on ne saurait toutefois comparer une telle appréciation à une décision sur le droit des requérants à la protection de leur réputation, ni considérer qu’un degré d’accès au juge limité à la faculté de poser une question préliminaire suffisait pour assurer aux requérants le « droit à un tribunal », eu égard au principe de la prééminence du droit dans une société démocratique (Cordova (nos 1 et 2) précités, respectivement § 52 et § 53, De Jorio précité, § 53, et, mutatis mutandis, Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 58, CEDH 1999-I). A ce sujet, il convient de rappeler que l’effectivité du droit en question demande qu’un individu jouisse d’une possibilité claire et concrète de contester un acte portant atteinte à ses droits (Bellet c. France, arrêt du 4 décembre 1995, série A no 333-B, p. 42, § 36). Dans la présente affaire, à la suite des délibérations de la Chambre des députés des 18 décembre 2002 et 27 mai 2003, les poursuites entamées contre MM. Taormina et Pecorella ont été classées, et les requérants se sont vus priver de la possibilité d’obtenir quelque forme de réparation que ce soit pour leur préjudice allégué.

57. Dans ces conditions, la Cour considère que les requérants ont subi une ingérence dans leur droit d’accès à un tribunal (voir, mutatis mutandis, Cordova (nos 1 et 2) précités, respectivement §§ 52-53 et §§ 53-54, et De Jorio précité, §§ 45-47).

58. Elle rappelle ensuite que ce droit n’est pas absolu, mais peut donner lieu à des limitations implicitement admises. Néanmoins, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d’autres, Khalfaoui c. France, no 34791/97, §§ 35-36, CEDH 1999-IX, et Papon c. France, no 54210/00, § 90, 25 juillet 2002 ; voir également le rappel des principes pertinents dans Fayed c. Royaume-Uni, arrêt du 21 septembre 1994, série A no 294-B, pp. 49-50, § 65).

(b) But de l’ingérence

59. La Cour relève que le fait pour les Etats d’accorder généralement une immunité plus ou moins étendue aux membres du Parlement constitue une pratique de longue date, qui vise à permettre la libre expression des représentants du peuple et à empêcher que des poursuites partisanes puissent porter atteinte à la fonction parlementaire. Dans ces conditions, la Cour estime que l’ingérence en question, qui était prévue par l’article 68 § 1 de la Constitution, poursuivait des buts légitimes, à savoir la protection du libre débat parlementaire et le maintien de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire (voir A. c. Royaume-Uni précité, §§ 75-77, Cordova (nos 1 et 2) précités, respectivement § 55 et § 56, et De Jorio précité, § 49).

60. Il reste à vérifier si les conséquences subies par les requérants étaient proportionnées aux buts légitimes visés.

(c) Proportionnalité de l’ingérence

61. S’agissant des principes généraux concernant la proportionnalité des ingérences en matière d’immunité parlementaire, la Cour renvoie tout d’abord à la jurisprudence qu’elle a dégagée dans les affaires Cordova c. Italie (Cordova (nos 1 et 2) précités, respectivement §§ 57-61 et §§ 58-62).

62. En l’espèce, la Cour relève que, prononcées dans le cadre d’interviews avec la presse, et donc en dehors d’une chambre législative, les déclarations litigieuses de MM. Taormina et Pecorella n’étaient pas liées à l’exercice de fonctions parlementaires stricto sensu. Il est vrai qu’une note interne critiquant le projet de loi sur les commissions rogatoires internationales avait été produite au cours des débats parlementaires. Il n’en demeure pas moins que les commentaires des deux députés mis en cause par les requérants ne portaient pas sur le contenu de cette note, mais sur l’opportunité de « licencier » les requérants en conséquence de leur prétendue violation des obligations de confidentialité et loyauté qui leur incombaient. Ainsi faisant, MM. Taormina et Pecorella n’ont pas exprimé des opinions de nature politique quant aux relations entre la magistrature et le pouvoir exécutif, ou au sujet du projet de loi sur les commissions rogatoires, mais ont attribué des comportements précis et fautifs aux requérants. Or, dans un tel cas, on ne saurait justifier un déni d’accès à la justice par le seul motif que la querelle pourrait être de nature politique ou liée à une activité politique (voir, mutatis mutandis, Cordova (no 2) précité, § 63, et De Jorio précité, § 53).

63. De l’avis de la Cour, l’absence d’un lien évident avec une activité parlementaire appelle une interprétation étroite de la notion de proportionnalité entre le but visé et les moyens employés. Il en est particulièrement ainsi lorsque les restrictions au droit d’accès découlent d’une délibération d’un organe politique. Conclure autrement équivaudrait à restreindre d’une manière incompatible avec l’article 6 § 1 de la Convention le droit d’accès à un tribunal des particuliers chaque fois que les propos attaqués en justice ont été émis par un membre du Parlement (Cordova (nos 1 et 2) précités, respectivement § 63 et § 64, et De Jorio précité, § 54).

64. La Cour estime qu’en l’espèce les ordonnances de non-lieu prononcées en faveur de MM. Taormina et Pecorella, qui ont eu comme conséquence de paralyser toute autre action tendant à assurer la protection de la réputation des requérants, n’ont pas respecté le juste équilibre qui doit régner en la matière entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu.

65. La Cour attache également de l’importance au fait qu’après les délibérations du Parlement des 18 décembre 2002 et 27 mai 2003 et le prononcé des ordonnances de non-lieu, les requérants ne disposaient pas d’autres voies raisonnables pour protéger efficacement leurs droits garantis par la Convention (voir, a contrario, Waite et Kennedy précité, §§ 68-70, et A. c. Royaume-Uni précité, § 86).

66. A cet égard, la Cour rappelle que dans les affaires Cordova et De Jorio, elle avait noté que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle avait connu une certaine évolution et que la haute juridiction italienne estimait désormais illégitime que l’immunité soit étendue à des propos n’ayant pas de rapport substantiel avec des actes parlementaires préalables dont le représentant concerné pourrait passer pour s’être fait l’écho (Cordova (nos 1 et 2) précités, respectivement § 65 et § 66, et De Jorio précité, § 56). Il n’en demeure pas moins que dans la présente affaire le GIP a estimé que des propos formulés en dehors des chambres législatives et non étroitement liés à un acte parlementaire préalable rentraient dans l’exercice de « fonctions parlementaires » et étaient couverts par l’article 68 § 1 de la Constitution.

67. Il n’appartient pas à la Cour – le Gouvernement le souligne à juste titre – de se pencher sur l’exactitude de cette interprétation en droit interne. En effet, c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et aux tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, arrêt du 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 290, § 33, et Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998-VIII, p. 3255, § 43). En revanche, le rôle de la Cour est celui de vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Cordova (no 1) précité, § 57, Kaufmann c. Italie, no 14021/02, § 33, 19 mai 2005, et Ielo c. Italie, no 23053/02, § 55, 6 décembre 2005). Sans examiner in abstracto la législation et la pratique pertinentes, elle doit rechercher si la manière dont elles ont touché les requérants a enfreint la Convention (voir, mutatis mutandis, Padovani c. Italie, arrêt du 26 février 1993, série A no 257-B, p. 20, § 24). Or, comme la Cour vient de le constater (paragraphe 64 ci-dessus), l’entrave au droit d’accès à la justice des requérants n’a pas été, en l’espèce, proportionnée aux buts légitimes poursuivis.

68. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation du droit d’accès à un tribunal garanti aux requérants par l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

69. Les requérants dénoncent également une violation de leur droit à un recours effectif devant une instance nationale. Ils observent qu’ils n’ont pas eu la possibilité de saisir directement la Cour constitutionnelle pour soulever un conflit entre pouvoirs de l’Etat. Ils invoquent l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

70. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.

B. Sur le fond

71. La Cour note que le grief soulevé par les requérants sur le terrain de l’article 13 concerne des faits liés à ceux déjà examinés sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention. De plus, il y a lieu de rappeler que lorsqu’une question d’accès à un tribunal se pose, les garanties de l’article 13 sont absorbées par celles de l’article 6 (Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, arrêt du 19 décembre 1997, Recueil 1997-VIII, § 41).

72. Dès lors, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention (Cordova (no 1) précité, § 71).

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

73. Les requérants allèguent que MM. Taormina e Pecorella, en leur qualité de membres du Parlement, ont pu exercer leur droit à la liberté d’expression bien au-delà des limites qui sont normalement imposées aux autres citoyens. Ils invoquent l’article 14 de la Convention, ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A. Sur la recevabilité

74. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et doit donc aussi être déclaré recevable.

B. Sur le fond

75. La Cour estime, au vu de la conclusion à laquelle elle est parvenue sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 68 ci-dessus), qu’il ne s’impose pas d’examiner séparément le grief des requérants sous l’angle de l’article 14 de la Convention (Cordova (no 1) précité, § 75).

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

76. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

77. Les requérants réclament 60 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi. Ils rappellent que les déclarations litigieuses leur ont attribué des comportements illicites, ce qui aurait porté une grave atteinte à leur honneur et à leur réputation de magistrats.

78. Le Gouvernement observe que les requérants chiffrent le dommage moral par rapport à l’atteinte alléguée à leur honorabilité. Cependant, cette dernière était l’objet de la procédure nationale, et il eût appartenu aux juridictions nationales, se fussent-elles prononcées sur le fond, de dire si les déclarations mises en cause par les requérants avaient porté atteinte à leurs droits et, dans l’affirmative, à combien aurait dû s’élever l’indemnité y relative.

79. Le Gouvernement rappelle que le seul objet de la procédure européenne est d’établir s’il y a eu violation du droit des requérants d’avoir accès à un tribunal. La satisfaction équitable doit donc être chiffrée par rapport à ce droit, afin de réparer les conséquences de la violation.

80. En tout état de cause, le préjudice invoqué n’a pas été démontré, et le constat de violation constituerait, en soi, une satisfaction équitable suffisante. A titre subsidiaire, le Gouvernement demande à la Cour de ne pas s’écarter de l’appréciation du dommage moral retenue dans les affaires Cordova (nos 1 et 2) et Ielo précitées, où elle a octroyé 8 000 EUR.

81. La Cour juge que les requérants ont subi un tort moral certain. Eu égard aux circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide d’octroyer à chaque requérant la somme de 8 000 EUR. La somme globale à verser aux requérants à ce titre s’élève donc à 24 000 EUR.

B. Frais et dépens

82. Chaque requérant demande la somme de 2 000 EUR pour les frais et dépens encourus devant la Cour.

83. Le Gouvernement relève que les frais invoqués n’ont pas été dûment prouvés. Il s’en remet en tout cas à la sagesse de la Cour.

84. Eu égard aux circonstances de la cause, la Cour décide qu’il convient d’accorder à chaque requérant la somme (2 000 EUR) réclamée pour la procédure devant elle. La somme globale à verser aux requérants à ce titre s’élève donc à 6 000 EUR.

C. Intérêts moratoires

85. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 14 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à chaque requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommage moral ;

ii. 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens ;

iii. tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur lesdites sommes ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 avril 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen Christos Rozakis
Greffier Président

ARRÊT PATRONO, CASCINI ET STEFANELLI c. ITALIE

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